En ouvrant ce court roman (150 pages), j'espérais évidemment passer un bon moment de lecture. Mais là, quelle belle surprise : une petite perle ! Pour un premier roman, Bertina Henrichs signe là un joli coup de maître. Dévoré en quelques heures !
Joli
coup de force également quand on sait que l'auteur, allemande, qui vit en
France depuis 15 ans, a écrit directement en français. Cet exil
linguistique, c'est la principale réussite du livre. Ici tout respire la modestie et la sobriété
: l'écriture simple, les phrases courtes, le vocabulaire, la syntaxe... Le tout avec légèreté et fraicheur. Bref,
un réel plaisir de lecture. Henrichs est encore vierge de tout nos mauvais
"tic" littéraires français et c'est tant mieux !
"Folie !" marmonne à maintes reprises Eleni,
personnage central du livre. Car sa passion naissante, les échecs, va chambouler la vie placide de Chora, pittoresque village portuaire de Naxos, une petite île grecque des
Cyclades, aux traditions îliennes bien ancrées, bien loin de la grande ville
moderne, Athènes.
Faute de mieux, Eleni, la quarantaine, est femme de ménage dans un hôtel géré par Maria, la
patronne qui parle avec force et entrain pour "d'emblée forcer la bonne
humeur et écarter tout soupçon de maussaderie". Sa vie ? Résignée, une inlassable routine : chambres d'hôtel le matin ("vingt chambres,
quarante lits, quatre-vingt serviettes, les cendriers à vider en nombre
variable"), puis, le reste de la journée pour assurer la vie du foyer
familial (Panis, le mari garagiste et deux enfants). Ni heureuse ni réellement malheureuse, elle accepte docilement son rôle de femme parce que c'est comme cela à Naxos... Quelques minutes de
commérages chez son amie Katharina distraient le quotidien. Son rêve ? La
France, sa langue, Paris et sa vie de joie, de luxe. Inaccessible, évidemment.
Alors, elle se l'offre par procuration à travers les clients étrangers de
l'hôtel : une vapeur de parfum dans une chambre de touristes
français et la voici sur sur les Champs Élysées...
Aussi, quand elle trébuche par hasard sur un échiquier dans la chambre de ces mêmes français, c'est la révélation. Elle achète alors son propre échiquier et prend cette surprenante décision : elle n'ira sans doute jamais en France, mais elle apprendra à jouera aux échecs, "comme
le font les femmes élégantes de Paris".
"ce fut le projet le plus audacieux et le plus
fou qu'Eleni ait jamais conçu. Elle en eut le souffle coupé" p.20
Quelques jours plus tard, chez elle, pour la première fois, elle déballe le jeu : la boite de Pandore vient de s'ouvrir, sa maussade existence peut basculer...